Le développement de la co-responsabilité
Quand on pense ‘soins de santé primaire’ on pense souvent en termes médicaux seulement. Cependant, la clef du succès des soins de santé communautaire est de travailler en association avec la communauté. Ceci est un principe révolutionnaire trop souvent négligé.
En tant que personnels de santé notre tâche principale est de permettre aux communautés d’organiser et de gérer leurs propres programmes sanitaires. Quand le service sanitaire est fourni par de grandes institutions, financées par le gouvernement ou d’autres agences et dominées par des docteurs, les gens s’attendent à ce que les choses leur soient données et que tout soit fait pour eux. Pourtant, notre but devrait être de promouvoir les soins de santé avec le concours des gens et non pas de les leur fournir sans participation de leur part.
Cette association apportera la dignité aux pauvres. Les gens comprennent très vite qu’ils n’ont plus besoin qu’on fasse tout pour eux ou qu’on leur donne tout. Ils se rendent compte qu’eux-mêmes peuvent se débrouiller et ce sentiment de responsabilité individuelle leur fait prendre conscience de leur valeur personnelle. Le projet ASHA en Inde a transformé les vies de nombreuses femmes qui ont suivi la formation d’ASC; elles ont développé un sens de responsabilité individuelle, détermination, et puissance et ont compris qu’ensemble elles peuvent faire changer les choses dans leurs communautés - leurs associations font qu’on prend mieux soin des équipements; quand les gens comprennent qu’il s’agit de leur dispensaire, leur plantation forestière, leur pompe à eau ils sont fiers d’en assurer le bon fonctionnement.
Notre préparation personnelle
Nous ne travaillerons jamais correctement ensemble si nous ne préparons pas nos pensées et nos attitudes avec soin.
Nous devrons être…
- Réellement convaincus de l’idée de participation.
- Prêts à tout moment à partager notre connaissance et nos aptitudes. Trop souvent un projet dépend trop des aptitudes et de l’énergie d’une seule personne. Si une seule personne peut accomplir certaines tâches, alors, il est temps de les transmettre à quelqu’un d’autre.
- Flexibles - être prêts à accepter des erreurs, des lenteurs et des expériences.
- Prêts à faire confiance aux autres.
- Prêts à respecter et encourager les autres. ‘Notre travail n’est pas de faire des héros de nous-mêmes mais de faire que d’autres soient des héros.’
- Prêts à s’engager à long terme comme ‘facilitateur’.
- Prêts à céder le contrôle et à cesser d’être le patron, le but étant de transmettre les responsabilités et de former de nombreuses personnes.
Le plus grand blocage à la participation n’est pas le manque de volonté de la communauté. C’est l’attitude possessive de la personne chargée de la santé qui essaie de se faire valoir et veut diriger à tout prix.
La préparation de la communauté
Ce n’est pas seulement quelques réunions et l’espoir que tout ira bien qui fera qu’on travaille réellement ensemble. Comme d’autres aptitudes, la capacité à établir la participation s’apprend et se pratique. Au début, beaucoup des communautés les plus pauvres, les plus dans le besoin, et les plus exploitées ne seront pas prêtes à participer.
Comment ‘enseigner’ la participation?
- En établissant la confiance et l’amitié et en énonçant clairement nos buts.
- En commençant à organiser des groupes de discussions, avec par exemple les membres de la communauté qui s’y intéressent, les ASC, les dirigeants de la communauté etc. Un membre du projet peut servir de ‘facilitateur’ et guider la discussion. Des problèmes seront soulevés et des causes réelles identifiées. Nous pouvons par exemple utiliser la technique du ‘mais pourquoi’:
‘L’enfant a un pied infecté.’
‘Mais pourquoi?’
‘Elle a marché sur une épine.’
‘Mais pourquoi?’
‘Elle n’a pas de chaussures.’
‘Mais pourquoi?’
‘Son père est un ouvrier agricole sans terre et n’a pas les moyens de les acheter.’
On peut discuter des solutions et faire des suggestions qui seront suivies. Cette technique à la participation amène rapidement à la prise de conscience. C’est un élément essentiel au développement communautaire et un outil de valeur à la santé communautaire.
- En organisant des visites dans d’autres projets. ‘On devient visionnaire en voyant, ça ne s’apprend pas.’
Premiers pas pour un travail ensemble
En premier lieu il est utile que la communauté apprenne à prendre part activement à une activité unique. Plus tard d’autres viendront.
Le choix d’un bon sujet devrait correspondre à un besoin ressenti dans la communauté, être réalisable et devrait apporter un bien-être visible assez rapide.
Par exemple, un projet a réussi en association avec la communauté: il s’agissait d’enterrer des tuyauteries pour apporter de l’eau potable à une communauté et la débarrasser du ver de guinée. Ceci fait, tout le monde était ravi et voulait continuer à s’associer pour accomplir d’autres activités.
D’autres améliorations ne seront peut-être pas aussi immédiatement visibles. Il se peut que la communauté ne remarque même pas les changements à moins qu’on l’aide à considérer la situation telle qu’elle était antérieurement et à observer les progrès faits depuis le début. Nous devons ‘enseigner’ à la communauté à évaluer le progrès en termes de changements réels.
Les embûches à éviter
Quelques-unes de celles qu’on connaît bien …
- L’association dans le travail est un nom au lieu d’une réalité. Il peut sembler que la participation soit présente, que les membres de la communauté prennent part, mais plus comme travailleurs que comme partenaires, plus en termes de ce que leur demande le projet, qu’en leurs propres termes.
- L’association dans le travail disparaît petit à petit. On peut à l’origine avoir pour but un vrai travail en commun de toute la communauté mais quand le dirigeant du comité de santé s’enfuit avec la caisse, il se peut qu’on change vite d’avis!! Nous devons continuer à encourager la participation même quand des problèmes surgissent et que nous sommes tentés de reprendre le contrôle.
- L’association dans le travail peut conduire à la division. Le procédé de travail en commun peut devenir incontrôlable. Certains problèmes peuvent être ressentis si fort qu’ils divisent et détruisent les communautés.
La participation est un procédé puissant. S’il est conduit correctement il peut aider les pauvres, sans toutefois exclure les riches, et profiter à la communauté. Par contre, s’il est mal mené, il peut laisser une communauté blessée et dans une grande instabilité.
Le soutien du village au travailleur pour la santé
Leur formation juste terminée, les ASC comptent beaucoup sur l’équipe de santé et le surveillant. Il se peut que la communauté ne les croit pas, que leur famille ne les comprenne pas et qu’eux-mêmes n’aient guère confiance en eux-mêmes. Ils auront besoin d’un soutien constant et de réunions régulières avec d’autres ASC pour les encourager et se rendre compte que d’autres sont dans des situations similaires à la leur.
Le comité de santé du village est une partie vitale du soutien aux ASC. Il devrait consister en un groupe de villageois convaincus et responsables qui s’intéressent aux membres les plus pauvres de la communauté. Ils devraient eux aussi être encouragés et recevoir une formation qui les aide dans leur rôle.
A mesure qu’ils gagnent en maturité et connaissance les ASC apprendront petit à petit à ne compter que sur eux, et le soutien extérieur deviendra moins nécessaire. Ils recevront alors leur encouragement de la communauté et de l’accroissement de leur estime personnelle.
Devrait-on payer les ASC?
C’est une des réponses les plus difficiles à donner dans le cadre des soins de santé basés dans la communauté. Les disputes concernant les salaires des ASC sont une des causes d’échecs les plus fréquentes dans le travail des soins de santé primaire.
Autant que possible on devrait essayer d’organiser des programmes d’ASC en commun avec la communauté où les ASC ne sont pas rémunérés. Ceci devrait être possible dans les circonstances suivantes:
- Là où les ASC travaillent un maximum de deux jours par semaine, ou idéalement encore moins. Ceci veut dire que chaque ASC pourra s’occuper de 100 familles ou moins.
- Là où les ASC ont un sens profond de la motivation sociale ou religieuse.
- Là où les ASC reçoivent leur soutien et encouragement par un autre biais que celui de l’argent. La satisfaction offerte par le travail même et l’appréciation de la communauté en sont deux exemples courants.
- Quand, au début d’un programme, il est bien entendu par tout le monde qu’il n’y aura pas de paiements et que les ASC travailleront par pur devoir envers leur communauté.
Il faut bien insister sur le fait que devenir ASC n’est pas un chemin vers la gloire et la fortune personnelle ou celle de sa famille!
Si la rémunération semble être essentielle on peut utiliser diverses méthodes.
- Le paiement par l’intermédiaire d’un comité de santé est utile si on peut l’organiser. Idéalement, la communauté attache une telle valeur à ses ASC qu’elle tient à les rémunérer et trouve un moyen efficace de rassembler l’argent nécessaire. Mais l’ASC doit être mûr, motivé, qualifié et honnête!
- Paiement pour le traitement dispensé à chaque malade. Ceci peut bien marcher mais l’inconvénient est que le prix du traitement est souvent basé sur le prix des médicaments utilisés. Ceci est en conflit avec un des rôles principaux des ASC - celui d’améliorer la santé de la communauté afin que les maladies soient de moins en moins courantes et que les médicaments soient moins nécessaires.
- Il se peut que le Gouvernement fournisse des fonds, mais souhaite exercer un contrôle sur le projet en contre partie. L’idéal serait que le financement du gouvernement passe par le projet ou le comité de santé.
- Le financement par les agences étrangères semble à première vue être la solution la plus simple ou même la seule. Mais, une fois que le financement vient de l’extérieur, les gens de la communauté deviennent souvent de plus en plus exigeants. Ces exigences grandissent de plus en plus vite et deviennent extrêmement difficiles à arrêter.
Ne commencez pas à payer des salaires qui ne peuvent pas être maintenus. Le monde entier a trop d’ASC qui au début étaient bien payés et ont maintenant cessé d’exister par manque de fonds. Il vaut mieux que les ASC ne reçoivent pas de salaires ou que ceux-ci restent bas et constants plutôt qu’élevés mais vite disparus par manque d’argent.
En conclusion, la participation de la communauté semble être la base de presque tous les programmes sanitaires réussis à long terme.
Le vrai travail en commun permettra à un projet de durer. Si les gens apprennent à changer leurs mauvaises attitudes sanitaires et à en adopter des correctes, alors quand les experts s’en iront et que le financement s’arrêtera, leur santé se sera améliorée d’une façon permanente.
Cet article est une synthèse d’Isabel Carter, basée essentiellement sur le nouveau livre du Dr Ted Lankester ‘Setting Up Community Health Programmes’ (livre dont nous présenterons une critique dans notre prochain numéro). C’est avec plaisir que nous recevrons vos lettres qui permettront de continuer la discussion de ces problèmes.