Mais j’ai rapidement pris conscience de deux choses :
- la demande pour ce genre de connaissances de base était énorme
- cette demande ne pourrait jamais être satisfaite en enseignant des petits groupes d’agriculteurs sous un manguier.
J’avais besoin de matériel d’enseignement pour que ces messages puissent atteindre une plus grande audience et pour permettre aux agriculteurs d’apprendre par eux-mêmes.
Mais je n’ai trouvé que des manuels fastidieux en noir et blanc avec trop peu d’illustrations et trop de langage technique. Le matériel d’enseignement semblait être davantage conçu pour des scientifiques que pour des agriculteurs.
Depuis mon arrivée en Ouganda, j’avais été impressionné par les campagnes éducatives sur le VIH. Au bord des routes, on trouvait des panneaux d’affichage colorés montrant des préservatifs, et dans les bars et les restaurants, il y avait des posters sur la fidélité et l’abstinence. On voyait pourquoi le pays avait connu une véritable réussite, ayant réduit de moitié la prévalence du VIH en dix ans.
J’ai commencé à me demander pourquoi l’agriculture et les moyens de subsistance ne faisaient pas l’objet de la même attention que le VIH et le secteur de la santé. Pourquoi
n’y avait-il pas de panneaux d’affichage sur la culture des fruits et des légumes ? Pourquoi n’y avait-il pas de posters sur la réalisation du compost et le paillage ? C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais essayer de faire pour l’agriculture ce qui avait déjà été fait pour le VIH.
Le processus de conception graphique
En 2004, j’ai créé Fourthway pour pouvoir publier du matériel d’enseignement pour les agriculteurs, d’une qualité équivalente à celui du secteur de la santé. L’idée de départ était de concevoir du matériel montrant des techniques simples pour améliorer les rendements sans augmenter les coûts.
Les premiers prototypes (ébauches) montraient comment réaliser du compost, du fumier liquide et de simples pesticides organiques. Ils ont été conçus avec de nombreuses illustrations et peu de mots pour faciliter la compréhension.
Nous avons apporté nos prototypes bruts à quelques ONG ougandaises locales. Leur première réaction a été la surprise :
« Nous n’avons encore jamais rien vu de tel, mais je peux déjà vous dire que nous en avons grand besoin, » nous dit l’une d’entre elles. « Vous voulez dire que nous pouvons vous suggérer des modifications ? » demanda une autre. Il nous fallait parfois expliquer pendant un certain temps que nous voulions développer notre matériel en collaboration avec les ONG.
Travailler avec les ONG nous a permis d’acquérir une expertise pratique et technique. Les vulgarisateurs ont également fait les suggestions suivantes :
- faire des posters plutôt que des manuels : ils pourraient ainsi être affichés et vus partout
- leur donner un aspect actuel, afin de remettre en cause l’idée selon laquelle l’agriculture est une pratique désuète.
Continuer à consulter les agriculteurs nous a permis de simplifier les instructions. Ils nous ont dit d’insérer des photos et des citations pour montrer que les posters étaient basés sur des pratiques réelles de la vie courante.
Depuis 2004, ce cycle de développement s’est poursuivi. Nous éditons des prototypes, que nous testons auprès des vulgarisateurs, puis auprès des agriculteurs. Nous avons produit des centaines de milliers de posters dans toute l’Afrique de l’Est pour le gouvernement et les ONG. La production de masse nous a permis de maintenir les coûts au plus bas. Cinq ans après, des organisations sanitaires viennent jeter un oeil au domaine de l’agriculture pour de nouvelles idées de conception graphique.